SMC Focus – Qu’a-t-on à apprendre des réseaux sociaux chinois?

En Chine, les réseaux sociaux se sont développés avec des mécanismes parfois radicalement différents de l’occident. Les spécialistes surveillent aujourd’hui ces évolutions de très près, autant pour essayer de pénétrer le marché chinois que pour essayer d’en tirer certaines leçons. Car au-delà des opportunités commerciales que représentent les 1,3 milliards de consommateurs chinois, certaines de leurs fonctionnalités et usages digitaux n’ont encore aucun équivalent en occident.

Les plateformes Sina Weibo, Tik Tok et Alibaba sont évidemment des sujets d’étude intéressants, mais aujourd’hui, c’est avant tout WeChat qui cristallise toute l’attention. Fondée en 2011 par Allen Zhang, une sorte de Steve Jobs chinois, entrepreneur visionnaire bercé d’anthropologie et de design d’expérience, WeChat est aujourd’hui une « Super App. » Au sein de la même plateforme, il est possible de suivre des fils d’actualité, de partager du contenu, d’acheter des produits, de payer ses factures, de jouer, et même de divorcer … le tout sans jamais sortir de WeChat. C’est un peu comme si Google, Facebook, PayPal, Amazon, Uber, Skype, Whatsapp et Instagram étaient réunis en une seule et même application ultradominante. En Chine, le résultat est vertigineux : avec plus d’1 milliard d’utilisateurs actifs, représentant 34% du trafic internet chinois, elle est devenue la cinquième application la plus téléchargée au monde, le tout en peine huit ans d’existence[1]. À tel point que Wechat, à concurrence équivalente avec Alibaba, est aujourd’hui indispensable pour faire du commerce en ligne en Chine.

Si les usages digitaux de la population chinoise sont très différents culturellement, le contexte économique et politique permet aussi d’expliquer la position dominante et le développement spectaculaire de WeChat. Avec un très fort contrôle de l’état chinois et un système économique unique au monde, à la fois très capitaliste et très réglementé, la position d’hégémonie d’un acteur unique est facilitée. « Le fait que l’État soit un tiers de confiance aussi puissant a permis à cette super app de se développer », explique Corentin Marsac (Groupe ADP). Tencent, l’entreprise fondatrice de WeChat, donne des garanties à l’État chinois sur ses utilisateurs et les contenus partagés, et fournit un travail qui s’apparente à du renseignement. « Il y a deux sujets qu’on ne peut pas aborder sur internet en Chine, c’est la religion et la politique », raconte d’emblée Yao Liu (Medias.Figaro). « Ça va même plus loin que ça, il y a des mots à éviter totalement », ajoute Corentin Marsac (Groupe ADP). Quand on est sur les réseaux sociaux chinois, il faut montrer patte blanche », poursuit-il. Le contrôle de l’état chinois est donc très fort, et explique en partie un tel développement. Néanmoins, le modèle économique de WeChat et ses fonctionnalités diffèrent de ce que nous connaissons en occident.

Si les contraintes commerciales sont nombreuses, les opportunités restent tout de même intéressantes. En 2017, à l’occasion du nouvel an chinois, le groupe ADP a par exemple pu développer un mini programme sur WeChat pour ses voyageurs chinois : une carte de vœux interactive, sous forme de QR code à scanner, qui donnait accès à un portefeuille d’offres et de réductions utilisables dans les magasins des aéroports parisiens. « Un passager chinois a un panier environ dix fois supérieur à celui d’un passager européen. Avec ce mini programme, ils pouvaient pré commander des produits et aller les acheter en magasin dès leur arrivée. En raisons des réglementations douanières, nous n’avons pas pu aller jusqu’au paiement intégré », raconte Corentin Marsac (Groupe ADP). Car la grande force de WeChat vient de ces fonctionnalités totalement intégrées au sein d’une seule et même application, comme WeChat pay pour les achats. Des mini programmes sont créés en permanence, mais l’utilisateur n’a pas besoin de les télécharger, et peut n’y aller qu’une seule fois si besoin. Conséquence, il n’y a pas de classement des applications comme dans l’Apple store, uniquement une barre de recherche, où seuls les mini programmes les plus populaires en fonction du besoin et de la géolocalisation de l’utilisateur sont mis en avant. « C’est un peu un ovni pour nous, il n’y a pas d’équivalent à ce fonctionnement sur les plateformes que nous connaissons en occident », résume Nicolas Cabanes (Fabernovel).

« Pour pénétrer le marché chinois, il n’y a pas vraiment de choix. Ça ne revient pas à se demander sur quel GAFA je vais miser, cela revient à se demander si je vais sur internet ou pas. Aujourd’hui, un tiers de l’internet chinois transite par WeChat, et AliBaba ne propose pas une interface aussi puissante, donc les options sont limitées », ajoute Guillaume Gombert (Fabernovel).

Le but de WeChat étant avant tout mercantile, en faisant consommer au maximum les utilisateurs directement sur sa plateforme, la collecte et la revente de données comme le pratique Facebook n’est pas au cœur du modèle. Néanmoins, cet écosystème permet également de s’appuyer sur de la social data très précise et performante. « Les fonctionnalités ne sont pas intrusives, elles restent à la disposition de l’utilisateur. Dès qu’on veut accéder au mini programme, c’est qu’on en a besoin. Cela peut paraître faible pour la collecte de données, mais au final c’est très pertinent. À l’arrivée, WeChat dispose de beaucoup plus de données que Facebook car elles sont ultra croisées », analyse Guillaume Gombert (Fabernovel). « Mais je pense que c’est très difficilement reproductible étant donné le peu d’avantages que l’on pourrait en tirer avec nos usages déjà en place et notre crainte de mettre toutes nos données au même endroit. Le sujet des données passera très mal avec notre culture et notre législation », anticipe-t-il par ailleurs.

Cependant, le modèle de Tencent est tellement efficace que Mark Zukerberg, le dirigeant de Facebook, se voit presque en WeChat occidental aujourd’hui[6]. Une inspiration qui explique par exemple le fait que l’application Messenger de Facebook devient de plus en plus une application de service, où les possibilités de paiement en ligne sont par exemple expérimentées. De façon plus générale, le chat privé est aujourd’hui en train de prendre le dessus sur le réseau social public, et certaines fonctionnalités déjà bien implantées en Chine pourraient tout à fait se développer en occident.