Silicon Valley : la technologie au service d’une idéologie?

Entre capitalisme et hyper individualisme, quel est ce nouvel ordre du monde que la Silicon Valley entend installer? On en parle avec Fabien Benoit, auteur de “The Valley” (Les Arènes, 2019), et Emmanuel Alloa, maître de conférences en philosophie à l’Université de Saint-Gall (Suisse).

Le journaliste et documentariste Fabien Benoit nous livre une fresque de la Silicon Valey, cette “Mecque des nouvelles technologies” traversée par la route 101 et reliant San Francisco à San José. Son livre The Valley. Une histoire politique de la Silicon Valley (Arènes, 2019) montre comment la vallée de Santa Clara, maraîchère à l’origine, est devenue, à travers la fondation de l’université de Stanford pour concurrencer Harvard, la technologie des tubes à vide puis l’arrivée du silicium, un nouvel eldorado entrepreneurial.

Forme d’“économie monde”, selon l’expression de Fernand Braudel, la Silicon Valley est en outre traversée par les mythologies et les valeurs américaines de la conquête des territoires, espace géographique de cette “destinée manifeste” portée par les “pionniers” et censée bâtir un nouveau monde. L’histoire de la Silicon Valley épouse donc l’histoire des Etats-Unis.

Avec nous également, le philosophe Emmanuel Alloa, maître de conférence à l’Université de Saint Gall (Suisse), coordinateur du dossier «L’idéologie de la Silicon Valley» dans le numéro de mai 2019 de la revue Esprit. Il nous rappelle notamment la matérialité bien réelle des infrastructures du numérique que dissimulent les promesses infinies de la Silicon Valley.

La Silicon Valley est un territoire circonscrit qui produit de la valeur bien au-delà de beaucoup d’États-nations dans le monde.
(Emmanuel Alloa)

De la “révolution des garages” et des ordinateurs “faits maison” à l’émergence des hackers, ces “bidouilleurs” porteurs d’une vision horizontale de l’informatique, de l’émergence du logiciel libre à la privatisation et la commercialisation par le marché, en passant par l’influence de Ayn Rand, “Che Guevara” du capitalisme et égérie des grands patrons de la Silicon Valley, retour sur l’histoire d’un lieu dont l’idéologie s’est étendue et s’étend au monde entier à travers la révolution numérique et les révolutions à venir, fantasmes transhumanistes en tête.

La séparation du medium et du contenu, qui relève d’une pensée émancipatrice de l’ingénierie et qui permet de tout encoder, se retourne aujourd’hui en une pensée de l’automatisation qui nous empêche de poser la question du sens.
(Emmanuel Alloa)

Apple naît en 1977, et c’est un peu le début de la fin : ce qui avait été injecté dans le rêve informatique, cette quête de partage et de liberté, est absorbé par le marché.
(Fabien Benoit)

Lien de l’émission : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/silicon-valley-la-technologie-au-service-dune-ideologie
Lien du podcast : http://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/12360-29.05.2019-ITEMA_22074486-1.mp3