Qwant, le “nouveau” mot d’ordre : la monétisation

https://siecledigital.fr/2020/01/15/qwant-le-nouveau-mot-dordre-la-monetisation/

Le 9 janvier, Qwant annonçait un changement de direction, pressenti depuis plusieurs mois. Ce 15 janvier, Éric Léandri a quitté son poste pour laisser place à Jean-Claude Ghinozzi, actuel directeur adjoint. L’occasion pour Siècle Digital de les rencontrer pour évoquer l’origine de cette décision, et sur les éventuelles évolutions du moteur de recherche qui se veut européen.

Plus de monétisation…
Le mot est lâché, et rabâché, l’année 2020 sera celle de la monétisation pour Qwant. Le moteur est en pleine croissance, rappellent presque en coeur les deux hommes. C’est le moment de mener une politique qui mènera “l’entreprise vers un point d’inflexion”, explique Jean-Claude Ghinozzi. Point qui se situerait selon lui entre 12 ou 13 millions de visiteurs uniques par mois. Aujourd’hui, Qwant, d’après les dernières évaluations faites par Médiamétrie en septembre 2019 “c’est 5 millions d’utilisateurs par mois” rappelle Eric Léandri. Autrement dit le moteur de recherche est censé plus que doubler le nombre de ses utilisateurs pour devenir bénéficiaire.

Afin d’y parvenir, l’entreprise, et ce depuis plusieurs années, mise sur les institutions : en avril 2020, Qwant devrait devenir le moteur de recherche par défaut de l’administration française. La société compte aussi largement sur ses investisseurs. Une augmentation de capital est prévue en début d’année, et les chiffres, ainsi que la nouvelle répartition des parts, seront fixés à la mi-février, nous explique Jean-Claude Ghinozzi.

D’autre part, il existe un travail de monétisation immédiate à mener d’après Eric Léandri, mission pour laquelle Jean-Claude Ghinozzi, qui a oeuvré dans la branche marketing alimentaire, tech et industrie hybride, avant de rejoindre Microsoft comme « General management des activités grand public », a été choisi. L’ingénieur de formation, laisse sa place au marketer, habitué aux grands groupes comme Canal+, Warner Bros, ou encore Electronic Arts.

Une décision prise par Éric Léandri lui-même et les autres actionnaires, nous dit-on. Pour tenter d’en savoir un peu plus sur les futures décisions à venir, nous avons posé quelques questions à celui qui prendra désormais les rênes de l’entreprise, Jean-Claude Ghinozzi, ainsi qu’à son co-fondateur Éric Léandri.

Siècle Digital : Pourquoi Qwant vous a choisi pour reprendre le poste d’Eric Léandri ?
Jean-Claude Ghinozzi : « Les actionnaires m’ont confié cette mission, et c’est ce que j’ai dit à mes salariés, pour continuer à creuser le sillon qui a été initié par Eric Léandri, qui a été son co-fondateur en 2013, et pour mettre l’entreprise en condition pour réussir ce projet européen de devenir rapidement une icône de la tech basée sur la souveraineté numérique. Je pense que j’ai également été choisi pour ma connaissance du projet, et les résultats que j’ai eu en accompagnant Eric dans le projet Qwant, et puis ma capacité à mettre en place un cadre de gestion de projet des systèmes ainsi qu’un mode de travail dont j’ai hérité au sein des grands groupes dans lesquels j’ai travaillé ».

S.D : Que faut-il entendre par faire évoluer « rapidement » la société sur le plan européen ?
J-C.G : « Et bien c’est une des raisons pour laquelle j’avais été recruté, rapidement c’est à dire qu’on a ouvert des filiales en Allemagne et en Italie dans les douze derniers mois, nous avons également établi un plan stratégique sur 5 ans avec la banque européenne d’investissement pour devenir un moteur de référence à échelle européenne. L’objectif est l’ouverture de nouveaux territoires en concentrant nos efforts sur des investissements et une attention particulière à la qualité du produit et l’activité des services que l’on délivre pour les utilisateurs : c’est à dire des produits comme le search et tout ce qu’il y a autour du search de manière assez immédiate comme la cartographie, et Qwant Junior également qui a été lancé pour la protection des enfants. Notre intention est d’augmenter la base d’utilisateurs en Allemagne et en Italie et espérons avoir d’ici 2021 d’autres perspectives de développement européen, sous-entendu une présence locale et une implication plus forte dans le système économique, dans la présence sur le territoire. Ces derniers points s’encrent davantage sur une perspective d’environ 3 ans, le temps de monter les équipes sur place. Mener à bien cette mission, c’est continuer de veiller à la qualité du produit, mais aussi de bien monétiser, et transformer cette base d’utilisateurs. Évidemment, là on est sur un modèle publicitaire, nous sommes une entreprise avec une ambition qui est portée par une vision politique européenne, par une vision de souveraineté du numérique, mais bien sûr nos actionnaires souhaitent que l’on soit capable d’être le plus rapidement possible à l’équilibre, même s’ils nous soutiennent très fortement en terme d’investissement. Notre mission sera donc de monétiser le mieux possible l’audience qui est en très forte croissance. »

S.D : Et comment comptez-vous parvenir à cette monétisation ?
J-C.G : « En continuant de faire de la vente de mots-clés comme nous le faisons depuis 2014, évidemment les revenus sont, je dirais, à superposer à la base d’utilisateurs, nous avons désormais atteint une taille critique qui était au 3 trimestre de 2019 d’un peu plus de 5 millions d’utilisateurs à taille unique par mois en France. Base qui nous permet d’avoir une monétisation bien plus forte que celle que nous avions jusqu’à aujourd’hui, simplement parce qu’on peut avoir des alliances technologiques, commerciales : on peut notamment citer tout le travail fait ces douze derniers mois sur la partie shopping. Des millions d’articles ont ainsi été indexés depuis 12 mois en France, en Allemagne et en Italie reliés vers des marchands comme la Fnac, Cdiscount, etc. ou nos partenariats d’affiliation. Nos propositions d’articles sont toujours faites dans la transparence, dans une recherche sémantique et pas grâce à des algorithmes profilés sur les utilisateurs. C’est une branche qui devient très importante pour nous en parallèle de l’utilisation des mots-clés. »

S.D : Pour l’instant toutefois cette monétisation ne suffit pas à combler les pertes, et vous ne pouvez vivre qu’à travers les financements reçus par l’État ou par des actionnaires, comme le groupe Axel Springer par exemple ?
J-C.G : « En effet, le type d’entreprise que nous menons est nécessairement à perte pendant de nombreuses années. C’est lié au cycle de développement d’une entreprise technologique, et pour pouvoir délivrer un service de qualité, on développe une technologie propre, nos propres services d’indexation, nos algorithmes, ce qui prend du temps et beaucoup d’argent. Au plus on se rend indépendant par rapport à des partenariats technologiques et stratégiques, au plus c’est coûteux. Le point d’inflexion sera atteint le jour où nous aurons suffisamment d’utilisateurs récurrents capables de cliquer sur nos liens payants, ou des mots-clés : quand on aura 12 ou 13 millions de visiteurs uniques par mois, je pense qu’on pourra être entièrement profitables. »

S.D : D’après Libération la Caisse des dépôts détiendrait 20% du capital, vous confirmez ces chiffres ?
J-C.G : « Nous sommes encore en pleine augmentation de capital, la Caisse des dépôts a annoncé qu’elle continuait à soutenir Qwant dans son projet et investissait de l’argent, dans Libération on a dit des choses qui ne sont pas précises parce que l’augmentation de capital va être clôturée à la mi-février, Axel Springer et la Caisse des dépôts ont confirmé aujourd’hui publiquement qu’ils mettaient de l’argent et n’ont pas indiqué le montant tout simplement parce que l’augmentation n’est pas clôturée et donc les pourcentages et la pertinence de ces pourcentages vis à vis des actionnaires historiques ou de la répartition n’est pas définitive. La Caisse des dépôts aura plus que 20% du capital de l’entreprise au terme de cette augmentation de capital, mais le taux ne peut pas encore être rendu public. Clairement ce sera un actionnaire de référence. »

S.D : Et qu’en est-il d’Axel Springer ? Une nouvelle levée de fonds de 10 millions d’euros serait prévue, vous confirmez cet apport ?
J-C.G : « Il est probable que cette annonce ait été confondue avec celle d’Antron Trush de la Caisse des dépôts qui est maintenant président du conseil de gouvernance et qui a confirmé que celle-ci investirait à nouveau dans le capital. Il est fort probable pour que la levée de fonds soit supérieure à 10 millions d’euros, mais je ne peux pas vous communiquer cette information tant que le tour de table n’est pas terminé. »

S.D : Il a été confirmé que Qwant avait été choisi par l’État pour devenir le moteur de recherche par défaut de l’administration des services publics, que pouvez-vous ajouter ?
J-C.G : « En effet oui, la communication de notre part devrait avoir lieu dans les jours qui viennent. Tout simplement, ce n’est pas un choix politique, mais un choix technique lié à la décision de la Dinum, qui a pris sa décision en fonction de certains critères technologiques. »

S.D : On se souvient également des paroles de Cédric O expliquant que Qwant était le seul moteur de recherche à « pouvoir répondre aux attentes du gouvernement », concrètement, que voulez-vous dire par un choix technique et non politique ? Qu’est-ce qui fait la particularité de Qwant techniquement ?
J-C.G : « C’est d’abord une technologie qui rend notre moteur indépendant de notre technologie tierce, notre capacité à indexer, crawler le Web, et à rendre des résultats permanents. Nous avons travaillé historiquement pour compléter des résultats qu’on était pas capable de donner à nos utilisateurs par la technologie de Microsoft Bing. Notre travail sur les dernières années et les derniers mois à nous rendre de plus en plus indépendant, et c’était un pré-requis de l’État d’avoir un moteur avec une capacité technologique d’indexation et de respecter l’anonymisation des données, versus les moteurs existants, donc sa propre technologie. »

S.D : Est-ce que selon vous cela répond à l’enquête menée par Mediapart concernant votre indépendance ?
J-C.G : « Je crois, on ne peut pas douter d’un organisme comme la Dinum et de son impartialité, à partir du moment où elle valide notre indépendance technologique. »

S.D : L’État finance t-il Qwant ?
J-C.G : « On peut dire que l’État finance Qwant à travers un bras armé financier qui s’appelle la Caisse des dépôts, comme la Banque européenne d’investissement nous soutient également puisque nous sommes un moteur. »

S.D : Vous vous présentez comme un moteur de recherche européen, c’est en effet ce qu’a toujours défendu Éric Léandri, précisant qu’il voulait séduire, et surtout « inciter les autorités européennes à utiliser Qwant », on peut considérer que c’est le cas de la France désormais, mais qu’en est-il des autres institutions européennes ? Qui vous utilise aujourd’hui ?
J-C.G : « Aujourd’hui la banque européenne d’investissement nous utilise, on est en train de travailler avec la communauté européenne pour indexer des centaines de sites Web de la communauté européenne à travers l’Europe, avec des problématiques assez particulières d’intranet etc. Ces choses là prennent du temps parce que ce n’est pas juste du Web, c’est aussi du contenu d’indexation, d’intranet ou de pages pdf etc. qui concernent tous les pays de l’UE, donc on est sur le sujet avec des représentants de la communauté européenne. »

Nous avons contacté la Banque européenne d’investissement quant à son utilisation du moteur de recherche Qwant, nous mettrons à jour cet article avec leur réponse. D’autre part la mise en place du portail d’informations avec la Communauté européenne sera d’abord soumise à une démonstration de faisabilité.

S.D : D’un point de vue européen justement, Eric Léandri s’était engagé à rémunérer un droit voisin aux éditeurs. Où en êtes-vous et quelles seront vos décisions sur le sujet ?
J-C.G : « Très clairement on s’inscrit dans la directive, on avait déjà anticipé que 5% des revenus liés à toute la partie média serait reversée aux médias en question. Pour cadrer cela il nous faut disposer d’une plateforme capable de voir qui publie sur Qwant, pour pouvoir rétribuer systématiquement cet argent, en fonction du contenu édité. C’est un engagement pris auparavant par Éric Léandri qui est en cours, et qu’on poursuivra. »

S.D : Donc pour l’instant vous ne rémunérez pas encore les médias, vous être en train de mettre cela en place ?
J-C.G : « Tout à fait, mais on a annoncé que ce n’était qu’une question de temps, on a pas encore forcément les moyens de nos concurrents pour que ce soit fait de manière immédiate, mais ce sont des choses que l’on est en train de faire. »

S.D : N’étant pas encore bénéficiaire, vous prévoyez donc de prendre sur les fonds pour rémunérer ces médias ?
J-C.G : « Oui nécessairement. En fonction de l’usage, une partie des revenus que l’on génère au global sur la catégorie sera reversée aux médias en question, et lorsqu’on est pas profitable, cela vient empiéter sur l’équilibre du compte de résultats. Mais bon ça on le sait bien. »

S.D : Pour quelle raison Eric Léandri quitte la présidence de Qwant, et pourquoi maintenant ?
J-C.G : « La raison est très simple, comme pour toute entreprise, tout projet, les choses évoluent rapidement. Nous sommes en hypercroissance, Qwant a été lancé et porté par un travail remarquable fait par l’équipe, et bien sûr Eric Léandri. Celui-ci a décidé de prendre du recul par rapport à l’activité exécutive : de délivrer un produit sans cesse amélioré, d’augmenter la pertinence de l’entreprise et de trouver des parts de marché. En tant qu’actionnaire principal qu’est Eric Léandri et les autres actionnaires ont jugé que c’était le bon moment pour qu’Éric L. prenne du recul et pour mettre à la tête de la direction une équipe dont je serai le leader pour mener l’entreprise vers une autre étape : mieux monétiser, travailler sur nos fondamentaux. »

S.D : Doit-on s’attendre à une toute nouvelle stratégie ou s’agira-t-il tout simplement d’aller dans la continuité de ce qui a été mis en place ? Vous parliez de mieux monétiser tout à l’heure, mais il doit bien s’agir d’un objectif de départ, non ?
J-C.G : « L’objectif de départ était de construire le produit, et un service avant de le monétiser. Je suis arrivé dans l’entreprise, évidemment pour me préoccuper des revenus de l’entreprise, mais aussi pour ouvrir un certain nombre de filiales, développer la marque, sa pertinence et sa solidité. Là où la stratégie risque d’être désormais différente, c’est que jusqu’ici, pour développer le moteur, de nombreux tests ont été faits en périphérie. On a édité un certain nombre de produits comme Qwant Music, on a annoncé des projets sur la santé et autres, aujourd’hui l’évolution fait que nous avons choisi de nous recentrer sur le produit qu’est le Search et les éléments de l’écosystème Search, pour pouvoir proposer une meilleure carte, de meilleurs itinéraires. On a annoncé Qwant Mail, et on sera dans les prochaines semaines à même de confirmer tout ça, et pour la première fois Qwant éditera un mail toujours basé sur les piliers de Qwant, c’est à dire qui garantit l’anonymisation des utilisateurs, et aucune pollution publicitaire. D’autres produits en revanche seront peut-être immédiatement arrêtés. »

S.D : Vous parlez de recentrer vos efforts sur le Search, est-ce en lien avec les accusations portées entre autres par Marc Longo, et relayées par Next INpact, qui parlaient d’un moteur de recherche bloqué en 2017 ?
J-C.G : « Non, je n’ai personnellement aucun intérêt à commenter ces attaques, qui ont fait beaucoup de mal à l’entreprise, et peiné les employés dont je fais partie, puisque je suis dans l’aventure depuis plus de 2 ans. L’entreprise Qwant c’est à 90% des ingénieurs qui produisent de la technologie tous les jours. »

S.D : Donc selon vous, le fait qu’Éric Léandri quitte la présidence de Qwant, précisément l’année où le moteur de recherche devient par défaut celui de l’administration publique, n’a aucun lien avec les enquêtes menées par Mediapart et NextInpact ?
J-C.G : « C’est à dire, dans quel sens vous l’interprétez ? Je n’ai pas bien compris comment vous arrivez à cela ? »

S.D : On ne peut s’empêcher de faire le lien entre des enquêtes qui datent d’il y a quelques mois, et qui mettent en porte-à-faux Qwant et son co-fondateur, et le fait qu’au moment où l’Etat déclare officiellement avoir choisi Qwant comme moteur par défaut pour tous les services publics, Éric Léandri ne soit plus en charge de la présidence. Certes on peut considérer qu’après avoir été choisi par l’Assemblée et le ministère de l’Armée, ce ne soit jamais que la continuité de choisir Qwant pour l’administration publique. Mais il est étonnant de voir qu’entre l’annonce de Cédric O en 2019, et ce changement à la tête de l’entreprise, se sont déroulées deux enquêtes pour le moins gênantes.
J-C.G : « Non, pour moi il n’y a pas de lien avec les articles de la presse, et les attaques subies par Éric Léandri. L’un n’a pas impliqué l’autre. Le travail qui a été fait depuis des années pour que Qwant devienne le moteur des services publics est réel. L’administration a fait son travail d’analyse, avec les audits. »

S.D : Est-ce envisageable que d’autres administrations publiques européennes puissent un jour utiliser Qwant ?
J-C.G : « Je l’espère, et je m’y emploie, notamment en Italie, en Allemagne. On compte aussi sur les entreprises privées. »

Reste à savoir si cela est possible. D’après Éric Léandri, qui a lui aussi bien voulu répondre à nos questions, « évidemment que oui ».

S.D : La communication de l’entreprise semble beaucoup porter sur l’aspect monétisation, et notamment pour expliquer votre départ. Toutefois, nous sommes bien d’accord, ce principe de monétisation ne date pas d’hier ?
Eric Léandri : « Non. Moi j’étais effectivement très axé sur le coeur du produit. Au moment où on est en relation avec l’utilisateur final (autrement dit en B2C), vous pouvez commencer à monétiser. Évidemment, vous les faites au fur et à mesure de la création du produit, mais quand vous êtes en train de construire un moteur de recherche, et c’est une des choses les plus dures que j’ai eu à faire de ma vie, vous êtes sur la recherche des technologies nécessaires à la réalisation du produit. Vous n’êtes pas en train de finaliser des produits de publicité à l’intérieur. Mais aujourd’hui avec l’annonce de la bascule de l’État, de plusieurs sociétés du CAC 40, 10 régions sur 13, puis 11 académies sur 17 pour Qwant Junior, on est en train de gagner cette bataille de l’envie de l’usage de Qwant. Mais cette année, pendant que nous mettions en place toute cette stratégie, ou signions des partenariats forts comme Havas et Publicis, je n’ai pas réussi à garantir une monétisation et finaliser une levée qui permettrait aujourd’hui d’être encore plus en accélération. Notamment grâce à l’annonce faite par Google, qui, d’ici deux mois va proposer des moteurs de recherches autres et dont on va faire partie. »

En effet, le 10 janvier Google a annoncé proposer des moteurs de recherches alternatifs sur Android, dès le mois de mars 2020. Ainsi, la France verra apparaître en écran de choix : DuckDuckGo, Info.com, et Qwant. Ce dernier sera de la même façon disponible dans 8 autres pays de l’Union européenne, dont l’Italie, la Belgique, ou la Grèce, comme le rapporte Éric Léandri. C’est un point extrêmement important pour le développement du moteur, et il faudra agir encore plus sur la partie mobile pour améliorer la tendance selon lui.

S.D : Monétiser d’accord. Toutefois votre successeur annonce que pour atteindre un équilibre et faire passer Qwant bénéficiaire, il vous faudrait entre 12 et 13 millions d’utilisateurs, soit plus du double de visiteurs uniques comptabilisés par Médiamétrie en 2019. Confirmez-vous les prévisions de Jean-Claude Ghinozzi ?
E.L : « Je pense qu’il a raison. Vous savez l’année dernière on a fait basculer environ 2 millions d’utilisateurs vers Qwant, avec notamment Safran, Thalès, le Crédit Agricole, la Société Générale, et nous avons mis en place des produits comme Qwant V2. Il y a des produits sur lesquels nous sommes loin d’avoir monétisé autant que nous le pouvions. »

S.D : Quel sera votre rôle dit « stratégique », qu’est-ce que cela veut dire exactement ?
E.L : « C’est tout ce que nous avons fait, les produits créés jusqu’ici. Si j’ai d’autres idées, j’en ferai part à Jean-Claude Ghinozzi. Tout ce que je peux amener à Jean-Claude, je l’amènerai, je crois qu’on a réussi de belles choses sous ma présidence, et puis loupé des choses sous ma présidence aussi (rires), la com’ par exemple… (rires). »

S.D : Nous ne serons fixés sur l’augmentation du capital qu’à la mi-février, et notamment sur les parts accordées aux actionnaires ainsi que la contribution de la Caisse des dépôts par exemple. Dans tout cela, qui prend les décisions chez Qwant ?
E.L : « Le président, qui présente ses décisions et le board vote pour décider d’exécuter ou non ces décisions, en fonction de la validation du budget. Donc aujourd’hui nous avons un outil de gouvernance dans lequel je suis, avec la Caisse des dépôts et de l’autre côté Jean-Claude Ghinozzi qui gère la société et propose les orientations. »

S.D : Qui est majoritaire dans le groupe ?
E.L : « Tout est là, tout dépend de la finalisation des levées en cours, il y aura peut-être d’autres acteurs. Ce qui est sûr c’est que ce sera collégial, pas un n’a ou n’aura 50% dans tout ça. La Caisse des dépôts a donné un chiffre qui tourne autour de 40%. »

S.D : Pour ce qui est de l’implication locale et économique prévue par jean-Claude Ghinozzi dans les pays européens dans les 3 prochaines années, à quoi fait-il référence ?
E.L : « Il nous faut des partenaires publicitaires locaux pour nous impliquer davantage, et petit à petit dans la vie des utilisateurs. »

S.D : Nous avons posé la question à Monsieur Jean-Claude Ghinozzi concernant les liens entre votre départ et les enquêtes de Médiapart et NextINpact, on ne vous repose pas la question ?…
E.L : « Moi j’ai une réponse pour vous : je suis très content d’une chose, je pars avec l’État qui donne un audit. On nous a dit que nous n’avions rien, et aucune technologie. J’espère que là nous avons des preuves avec la Dinum, avec la Cnil, que Qwant est sur la voie d’un vrai moteur européen, pour montrer que j’en ai pris beaucoup sur la tête, que je ne méritais pas de prendre. En plus, de mon côté, on est carrément dans la diffamation en ce qui me concerne, je rappelle que j’ai toujours un casier vierge [faisant ainsi référence à la condamnation pour escroquerie rapportée par Mediapart, dont Éric Léandri n’aurait été au courant qu’en 2015, selon son avocate, et pour laquelle il a été conclu un accord financier avec la justice belge]. D’un autre côté Qwant ça commençait à devenir très pesant pour moi. Aujourd’hui c’est une société de 160 personnes, 130 ingénieurs, ils font un travail énorme, et ce n’est pas simple. »

Pour conclure, le moteur de recherche doit « être encore finalisé » rappelle Eric Léandri. La monétisation dépendra de l’optimisation de certains procédés, mais surtout du nombre d’utilisateurs. La stratégie de l’entreprise la mène encore et toujours à se diriger vers d’autres institutions, reste à savoir si ces dernières seront convaincues par les audits menés par la Dinum, la Cnil, et l’Anssi. Cette dernière s’était déjà penchée sur le partenariat entre Qwant et Azure, le cloud de Microsoft.

D’après les déclarations de Nadi Bou Hanna, directeur interministériel du numérique, les tests pour évaluer la « capacité en propre d’indexation du Web » du moteur, et « l’absence de collecte de données personnelles des agents publics », ont été « concluants ».

Alors, doit-on, ou ne doit-on pas, douter des compétences d’évaluation des algorithmes utilisés par les services officiels cités plus haut ? Ou de l’impartialité de l’État ? Dans tous les cas, reste à voir si les utilisateurs de l’administration publique garderont Qwant par défaut, ou souhaiteront revenir à un autre moteur de recherche sur leur ordinateur et leur smartphone.