A l’origine Ring est une startup ukrainienne rachetée en janvier 2018 par Amazon pour un milliard de dollars. Elle fait partie des nombreux investissements que l’entreprise américaine a réalisés pour structurer et diversifier son offre de produits connectés domestiques. Moins connus que l’emblématique assistant vocal Alexa, des dizaines de milliers d’Américains ont pourtant équipé leur porte d’entrée de cette sonnette vidéo qui ne se déclenche pas seulement quand on sonne, mais aussi quand elle détecte un mouvement. La caméra ne surveille pas que ceux qui cherchent à venir chez vous… mais également les mouvements de la rue ou de la cour devant votre domicile. Pour tout bon défenseur de la liberté individuelle, cette épidémie de caméras privatives ne devrait pas prêter à discussion… sauf qu’elles ne sont pas si privatives qu’annoncées et que la somme de ces actes individuels n’est pas sans conséquence sur la société.
D’une manière surprenante, nombre de services de police américains ont largement promu ces nouveaux objets auprès des habitants, en proposant même des réductions voire un équipement gratuit… Cette promotion un peu particulière n’était pas sans contrepartie : la police a promu l’équipement en échange d’un accès aux vidéos enregistrés par les caméras (un accès qui n’est pas automatique, mais qui se fait sur demande de la police).
Aux États-Unis, plus de 50 services de police locaux se sont associés à Ring pour promouvoir le service, souvent en échange d’un accès aux images dans des zones où la police est souvent dépourvue de moyens de surveillance. Autant de caméras qui permettent à la police de bénéficier de nouvelles sources d’enregistrement vidéo, tout en proposant un service visant à tranquilliser les usagers.
Pour Mohammad Tajsar avocat de l’American civil liberties union (@aclu), nous avons là « un mariage parfait entre forces de l’ordre, particuliers et grandes entreprises pour créer les conditions d’une société dont peu de gens voudraient faire partie ». Sur Ring, la police a accès à un tableau de bord où elle peut demander des séquences filmées à des moments précis sur requête auprès des utilisateurs ou directement auprès de Ring.
À Mountain Brook, Alabama, le responsable de la police explique d’ailleurs qu’il n’a désormais plus besoin d’un réseau de vidéosurveillance public ! À Hammond, Indiana, la ville a subventionné l’achat de caméra avec l’aide de Ring : les 500 caméras sont parties en une semaine ! 600 autres ont été installées grâce à un programme de réduction proposé par la ville. Pour l’avocat de l’ACLU, « le public subventionne les atteintes à la liberté en agissant ainsi ». À Houston, la police a lancé un concours pour gagner des caméras à condition que les lauréats acceptent d’ouvrir un accès à la police lorsqu’elle en ferait la demande… Et dans plusieurs villes, quand 20 personnes s’inscrivent, Ring offre une caméra ! Pour le juriste Eric Piza, la police agit désormais dans l’intérêt d’entreprises commerciales (qui se rémunèrent surtout sur l’abonnement mensuel pour stocker les images). À Bloomfield pourtant, les gens n’ont pas inondé d’images la police. Les demandes de la police restent souvent sans réponses, sauf lorsque les agents se déplacent pour les demander en personne… dans ce cas, il est souvent plus difficile de refuser !
Le panopticon sécuritaire d’Amazon annonce déjà ses prochaines extensions. Un brevet, repéré par Quartz, projette de proposer prochainement une surveillance par drone des habitations. Et de nouveaux produits Ring sont annoncés : notamment des caméras embarquées pour les voitures… En janvier 2019, The Intercept avait révélé que des employés de Ring était capables de regarder des images en direct à partir des caméras de leurs clients (une information démentie par l’entreprise, mais maintenue par le journal d’investigation), soi-disant pour permettre aux employés d’aider les algorithmes à mieux catégoriser les objets – et ce alors que Ring assure ne pas utiliser d’outils de reconnaissance d’image…
Chris Gilliard parle de Digital Redlining pour désigner ces pratiques. Le Redlining fait référence à une pratique discriminatoire consistant pour les banques, les assurances et les services de santé de refuser d’investir dans certains quartiers (bien évidemment les plus pauvres et les plus noirs des États-Unis) délimités d’une ligne rouge par les investisseurs… Si la pratique a été interdite dès la fin des années 60, le numérique lui donne une nouvelle réalité, souligne Gilliard. En 2016, une enquête de Bloomberg avait révélé qu’Amazon avait tendance à refuser l’accès à la livraison dans la journée à la plupart des quartiers de minorités. À Boston, le quartier noir de Roxbury, était le seul où la livraison le jour même n’était pas disponible, alors que tous les quartiers qui entouraient Roxbury, eux, étaient livrés dans la journée ! Pour Gilliard, plus de caméras ne signifient pas plus de sécurité, en tout cas pas pour les communautés les plus marginalisées. Plus de caméras, c’est d’abord moins de sécurité pour ceux qui sont contrôlés par celles-ci. Et le professeur de rappeler qu’il y a une différence très significative entre une alarme qui se déclenche lors d’une intrusion à son domicile et un système qui surveille et enregistre en permanence tous types de signaux dont l’interprétation est libre…
Un exemple qui montre bien qu’il n’y a pas que la question de la reconnaissance faciale qui est problématique avec la vidéosurveillance. Le contrôle démocratique du déploiement même du réseau à l’heure de son ubérisation par Ring l’est tout autant !