L’annonce est tombée en début de semaine (lundi) via plusieurs médias russes dont l’agence de presse gouvernementale TASS : la Russie a testé avec succès son Internet souverain, une alternative nationale à l’Internet mondial. Les tests ont eu lieu sur plusieurs jours à partir de la semaine dernière et ont impliqué des agences gouvernementales russes, des fournisseurs de services Internet locaux et des sociétés Internet russes locales.
L’une des idées derrière l’Internet souverain russe est de permettre à Moscou de se doter d’un poste de commandement unique à partir duquel les autorités peuvent gérer les flux d’informations dans le cyberespace russe (alias Runet) ; cela inclut la surveillance, la limitation ou le blocage de ces flux sur toute ou partie de l’étendue du cyberespace russe. Ce dernier s’appuie donc sur son propre système de noms de domaine pour lui permettre de continuer à fonctionner, ce, même s’il était coupé du web mondial. L’objectif, selon les autorités russes, est de « garantir un Internet stable, sûr et transparent. »
D’un point de vue technique, le Runet est architecturé autour de dispositifs spéciaux qui intègrent un logiciel de surveillance des milliers de points d’échange entre la Russie et le Web au sens large. Ces derniers sont chargés d’alimenter le centre névralgique d’analyse en temps réel des volumes et les types de trafic installé au sein du Roskomnadzor – le régulateur russe en matière de télécommunications.
D’après les retours des autorités russes, le dernier test s’est passé avec succès. « Il s’est avéré qu’en général, tant les autorités que les opérateurs de télécommunications sont prêts à répondre efficacement aux risques et menaces éventuels et à assurer le fonctionnement de l’Internet et du réseau unifié de télécommunications en Russie », a déclaré Alexei Sokolov – directeur adjoint du ministère du Développement numérique, des communications et des médias lors de la conférence dédiée.
En tout, quatre opérateurs de télécoms ont participé à l’opération au cours de laquelle 18 scénarios d’attaque ont fait l’objet de tests. Les résultats des tests seront présentés au président russe l’année prochaine. Une version finale du Runet est attendue en 2021.
Vladimir Poutine a présenté cette initiative comme une réponse défensive à la nouvelle cyberstratégie de l’administration Trump. En effet, il ne faut pas perdre de vue qu’à mi-parcours du mois d’août de l’année précédente, le président américain a signé un décret qui assouplit des contraintes quant à la possibilité pour les États-Unis de déployer des armes cybernétiques contre des adversaires dans le monde. Un responsable de l’administration Trump avait décrit lesdites mesures comme un « pas offensif » destiné à soutenir les opérations militaires des USA, à dissuader l’influence électorale étrangère et à contrecarrer le vol de propriété intellectuelle en faisant face à de telles menaces avec une réponse plus énergique.
« Si nous voyons que d’autres ont les capacités techniques pour mener des attaques sur l’Internet russe, nous devons avoir les capacités techniques pour résister à ces attaques. Nous ne doutons pas que les États-Unis soient techniquement capables d’éteindre Internet là où ils le jugent nécessaire », a déclaré un membre du Conseil de la Fédération russe.
Maintenir les données russes sur le sol russe : il s’agit là d’une autre des idées de base derrière le Runet, mais des groupes de défense des droits préviennent que la manœuvre du gouvernement russe vise beaucoup plus les critiques du Kremlin que des adversaires internationaux.
En effet, l’idée du gouvernement russe d’accroître son contrôle sur Internet s’inscrit dans une tendance politique inscrite sur le long terme. En 2017, les responsables ont déclaré qu’ils voulaient que 95 % du trafic Internet soit acheminé de façon locale d’ici 2020. Depuis 2016, une loi oblige les réseaux sociaux à stocker des données sur les utilisateurs russes sur les serveurs du pays. La loi a été officiellement présentée comme une mesure antiterroriste, mais beaucoup l’ont critiquée comme une tentative de contrôler les plateformes en ligne qui peuvent être utilisées pour organiser des manifestations antigouvernementales.
Alors qu’on amorçait le mois de mars, des milliers de personnes sont descendues dans les rues en Russie pour protester contre ce projet qu’elles qualifient de « censure » et de tentative d’« isolement » du pays du reste du monde. Toutefois, d’après des intervenants pro gouvernementaux, « la manœuvre en cours ne vise en aucune façon à isoler la Russie ou à la couper des sources extérieures. L’Internet russe doit être protégé des influences extérieures parce que son importance en tant qu’espace public va grandissant dans un pays où de nombreuses infrastructures sont désormais connectées. »