“Les agences de renseignement américaines fouillent mon courrier, espionnent mes visites sur internet, mes communications Skype, et autres. Et alors ? Je n’ai rien à me reprocher, rien à cacher…”
Voici l’argument que nous entendons régulièrement, brandi par ceux qui tentent – depuis bientôt une année – de minimiser l’ampleur de ce qu’a révélé Edward Snowden. Il permet de justifier une absence complète de réaction face à ce qui, de mois en mois, apparaît de plus en plus comme un abus de confiance d’une taille démesurée.
Ce que nous avons appris depuis le 6 juin 2013 – date des révélations de Snowden – paraît tellement effarant que l’on peine à le digérer. Du jour au lendemain, il est apparu au vu et au su de tous que de titanesques volumes de données privées étaient stockés par les agences de renseignement américaines avec la complicité ouverte de l’Angleterre. Et que des entreprises aussi variées que Facebook, Google, Yahoo! ou encore IBM et Akamai (qui gèrent des dizaines de milliers de serveurs) étaient de mèche.
En la matière, les chiffres sont juste un peu trop incroyables. Un exemple ? Le GCHQ – agence de renseignement britannique – espionne ouvertement l’Europe depuis des stations d’écoute situées sur son sol et les données collectées ainsi par le Royaume-Uni seraient envoyées à la NSA à raison de 7 téraoctets (millier de giga-octets) par seconde !
Soit dit en passant, Eric Schmidt, le PGD de Google a eu cette phrase mémorable à ce sujet : “Si vous faites quelque chose et que vous voulez que personne ne le sache, peut-être devriez-vous déjà commencer par ne pas le faire !” Air connu : “Les gens honnêtes n’ont pas à s’en faire, n’est-ce pas ?”
certaines indiscrétions peuvent être utilisées à des fins politiques pour tenter de faire pencher la balance de son côté. Pour mémoire, en avril 2009, lors de la réunion du G20 où figuraient les présidents des principales nations mondiales, dont Nicolas Sarkozy, Angela Merkel, Jose Luis Rodriguez Zapatero mais aussi Dimitri Medvedev (président de la Russie), Hu Jintao, (président de la Chine), le GCHQ a ouvertement espionné leurs communications.
Tout ce beau monde était convié à se servir de “l’internet café” mis à leur disposition, ignorant que ce dernier faisait l’objet d’un espionnage en temps réel. Dans un document interne, un participant de l’opération s’est félicité de son succès et concluait ainsi, comme le rapporte Les Inrocks : “Savoir quelle délégation était active avant, pendant et après le sommet s’est révélé très utile. Tout compte fait, un week-end très fructueux avec le petit complot de la délégation de téléphonie.”
Nous en arrivons au niveau personnel. À ce niveau, l’argument ‘je n’ai rien à cacher’ est particulièrement insididieux. À toute époque, dans l’histoire, une communauté a pu pâtir de l’intolérance du pouvoir à son égard. En 1938, les juifs avaient-ils quoi que ce soit à se reprocher ? Cela n’a pas empêché le drame que l’on sait. Dans les années 60, les homosexuels qui auraient affiché ouvertement leur situation auraient sans doute peiné à trouver ou conserver un job. La liste serait longue.
Et oui… Chacun peut vivre tranquillement et découvrir, du jour au lendemain, que, pas de chance, il fait désormais partie d’une communauté qui n’a plus la considération de ses pairs.
L’Europe est en faveur du droit à l’oubli, du droit à une vie privée, et ces droits sont un acquis de la civilisation dont il serait regrettable de se dépouiller sans tenter de résister un minimum. N’oublions pas les leçons de l’histoire. La démocratie est fragile. Ne donnons pas à de potentiels dictateurs des moyens de contrôle à faire pâlir George Orwell.