publié le 12 février 2020 à 12h36
Pendant plus de 50 ans, la CIA et son homologue allemand le BND ont espionné des centaines de milliers de conversations cryptées entre pays, car ils ont racheté en secret une société suisse d’équipements de cryptage. Une enquête vient de révéler le subterfuge.
C’est une histoire d’espionnage que seule la guerre froide peut nous offrir. Pendant des dizaines d’années, la CIA et le BND, les services de renseignements de Berlin-ouest, ont espionné des centaines de pays d’après une enquête révélée hier par le Washington Post, la télévision allemande ZDF et la télévision-radio suisse SRF.
Nous sommes en 1970, et dans le domaine des équipements de cryptage, il y a un leader mondial : Crypto AG, une société suisse. Elle vend des machines qui cryptent et décryptent les conversations. En pleine guerre froide, maîtriser cette technique est essentiel. À l’époque, pas d’e-mail sécurisé et pas de téléphone satellite.
La CIA et son homologue d’Allemagne de l’Ouest, le BND, décident de faire un grand coup et rachètent en secret cette société. C’est l’opération « Thesaurus », appelée plus tard « Rubicon ».
« Un monde plus sûr »
Les deux services de renseignements trafiquent les machines, vendues des millions de dollars à 120 pays. Désormais, ils peuvent craquer tous les messages envoyés par l’Iran, l’Inde, le Vatican et plusieurs pays d’Amérique latine, entre autres.
Ils surveillent par exemple la crise des otages à l’ambassade américaine de Téhéran, fournissent des renseignements sur l’armée argentine aux Britanniques pendant la guerre des Malouines et découvrent que la Libye est impliquée dans l’attentat contre une boîte de nuit de Berlin-ouest en 1986.
En 1993, le BND se désengage et la CIA finit par vendre Crypto AG en 2018, ses équipements étant devenus trop obsolètes.
Dans un rapport de 2004 mentionné par l’enquête des trois médias, la CIA se félicite d’avoir réalisé le « le coup du siècle » en matière d’espionnage.
La CIA et le BND n’ont pas commenté cette longue enquête mais n‘ont pas non plus nié. L’ancien coordinateur du renseignement allemand, Bernd Schmidbauer, a confirmé l’existence de l’opération à la ZDF, estimant qu’elle a permis « de rendre le monde un peu plus sûr ». Reste aussi la question de l’argent généré par cette société. Chaque équipement était vendu des millions de dollars. Que sont devenus les revenus ? D’après l’enquête, la CIA et le BND auraient créé une « caisse noire ».