12 juil. 2021
Par HerveLeCrosnier
C’est avec stupeur et une grande tristesse que nous apprenons le décès de Philippe Aigrain, immense défenseur des libertés numériques et des biens communs.
Philippe Aigrain est inclassable. Randonneur émérite, il aimait tant arpenter les chemins des Pyrénées qu’il en avait fait son twitname (@balaitous). Pourtant une chute lors d’une sortie en montagne vient de lui être fatale. Une grande tristesse pour toutes celles et ceux qui l’ont croisé et accompagné dans ses multiples projets. Avec les quelques mots qui suivent, je voudrais adresser toute mon amitié à Mireille qui l’accompagnait depuis si longtemps, en souvenir d’une belle ballade tous les trois autour de leur maison.
Philippe a été un inlassable défenseur des logiciels libres quand il oeuvrait dans les bureaux de la Commission européenne. Partant de ce mouvement, il a découvert très tôt l’enjeu des communs, notamment des communs numériques et de la connaissance. Avec son ouvrage Cause commune, l’information entre bien commun et propriété, il fut le premier à ré-introduire en France la notion de communs en relation avec le nouveau statut de la connaissance à l’ère des réseaux numériques. Un projet sans cesse à remettre sur le chantier, comme, par exemple, aujourd’hui autour de la question des brevets sur les vaccins contre le Covid.
Je me souviens de la préparation de la conférence et du livre Pouvoir savoir, Le développement face aux biens communs de l’information et à la propriété intellectuelle, en 2005, sur la relation entre la connaissance et le développement. Alors qu’à la suite des débats de l’époque j’étais principalement focalisé sur le côté négatif, sur le poids que les extrémistes de la propriété intellectuelle faisaient peser sur le développement, Philippe a longuement insisté sur la nécessité de parler des biens communs comme de l’alternative adaptée à cette question. Il avait totalement raison.
Inlassable défenseur des libertés, Philippe a très tôt compris le risque que le numérique faisait peser sur les libertés individuelles. En créant en 2008 La Quadrature du Net avec Benjamin Sonntag et Jérémie Zimmermann, il a lancé un grand mouvement d’opinion et de plaidoyer. Les évolutions ultérieures de la technopolice partout dans le monde ont validé très largement son intuition. Les techniques de traçage et leur usage tant par les entreprises privées du numérique que par les États et les autres collectivités se renforcent chaque jour. Et c’est bien par une action juridique et politique déterminée que l’on pourra éviter la mise en place d’un nouveau régime de gouvernement appuyé sur une connaissance des activités et des affects de chaque individu.
Mais Philippe Aigrain ne saurait se résumer à cet aspect de militant du numérique. Il est aussi un poète, tant par ses œuvres que par l’appui qu’il a essayé de porter constamment à la poésie vivante. En 2014, il a repris le flambeau de Publie‧net, la maison d’édition créée par François Bon. Il a ainsi participé à construire une indispensable maison d’édition de poésie et de littérature contemporaine française, présentant un modèle hybride de livres imprimés et numériques.
Philippe, tes intuitions, tes saines colères, ta détermination et la clarté de tes positions vont nous manquer.