Comment IBM devrait ouvrir la voie révolutionnaire de l'avantage quantique dès 2023

01/01/2022

Adrian BRANCO - Journaliste

Comment IBM devrait ouvrir la voie révolutionnaire de l'avantage quantique dès 2023

Derrière nouveau processeur quantique « Eagle », IBM porte un pan de route qui se déroule avec une précision diabolique. Cet d’engagement très fort sur les résultats laisse à penser qu’IBM a trouvé le moyen monter rapidement en puissance sur une technologie qui pourrait révolutionner des pans entiers de nos vies.

Le groupe américain IBM a annoncé, il y a deux semaines, son nouveau processeur quantique « Eagle », le système le plus avancé à l’heure actuelle avec pas moins de 127 qubits de puissance de calcul.
Dans le monde très opaque, et très concurrentiel, de l’informatique quantique, cette nouvelle pourrait n’être qu’une simple annonce jalonnant un futur très incertain. A y regarder de plus près, Eagle pourrait être la première marque claire d’une domination d’IBM dans ce champ de l’informatique. Cette avance pourrait l’approcher de « l’avantage quantique » - un concept sur lequel nous reviendrons plus bas - et des promesses qui l’accompagne. De faire, avec Eagle, IBM pourrait marquer de son sceau le Futur – oui, avec un grand F.

Pour s’en convaincre, il faut commencer par regarder où en sont les différents acteurs de l’informatique quantique. Si l’Europe, dont la France, dispose de beaucoup de savoir-faire, ils sont pour l’heure éclatés dans différentes jeunes pousses ou universités, et aucun acteur de poids ne fédère la filière.

Du côté de l’Orient, la Chine a fait de nombreuses annonces, notamment des départements de recherche d’universités, mais pour l’heure rien de concret côté produit commercial. Quant aux autres géants américains, Microsoft est pour l’heure dans les choux, et Google peu dissert !

IBM prépare ses plans de bataille (quantique)

Et puis, on s’attarde sur l’annonce du processeur Eagle. Cette annonce s’accompagne d’une feuille de route, qui prolonge celle communiquée l’an dernier lors de l’annonce de Hummingbird, la puce qui précédait Eagle. On est alors frappé par la différence entre IBM et… le reste du monde. IBM a pour l’heure annoncé et livré ses puces avec une précision d’horloger.

Et plutôt que de parler d’un « long chemin vers le sommet » comme l’a fait évasivement Google lors de sa dernière I/O, IBM donne des dates, annonce le lancement de briques logicielles et de services qu’il déploie implacablement. Mieux, il affiche une roadmap matérielle qui ferait presque peur par sa régularité : 65 qubits l’an dernier, 127 cet année, 433 qubits l’an prochain et plus de 1 000 au-delà de 2025.

Plusieurs employés d’IBM, que nous avons pu interroger dans le cadre d’un voyage de presse, nous assurent que leur société « ne communique généralement pas de feuille de route parce que nous sommes une entreprise assez prudente dans les annonces ».
Du coup, la roadmap est vue en interne comme un signal fort : « Si on communique comme ça, c’est qu’on est sûrs à 100% », nous assure-t-on.

Des propos officieux recueillis entre deux portes qui valident les annonces officielles de Alessandro Curioni, directeur du laboratoire de recherche de Zürich d’IBM.

« Il y a seulement cinq ans, l’informatique quantique était encore en rêve. Aujourd’hui c’est une réalité : nous avons construit le matériel et le logiciel, et sommes sur le point d’apporter cette science dans le domaine du business ».

Sans avoir besoin de mettre les mains dans un cryostat à 5 μK (5 microkelvins, c’est-à-dire 0,005 degré au-dessus du zéro absolu, température de fonctionnement des ordinateurs quantiques d’IBM !) la simple collecte d’informations publiques et d’engagements technologiques (et business) laisse à penser qu’IBM est bien le bulldozer du segment.
Il faut dire que pour le champion des technologies informatiques de pointe, le quantique porte avec lui des promesses de grands changements et d’innombrables révolutions dont notre imagination peine aujourd’hui à prévoir les confins.

Fini la « suprématie », bonjour « l’avantage » quantique

En 2019, une poignée de chercheurs de Google créaient la polémique avec la publication d’un article scientifique qui annonçait que l’entreprise avait atteint « la suprématie quantique ».

L’article créa des remous interne – notamment autour du titre choisi et des conclusions – ainsi qu’une levée de bouclier. Notamment de la part d’IBM qui étrilla la publication de Google.

A l’époque, la réaction assez dure et froide d’IBM a pu passer pour une forme de jalousie. Plus de deux ans après et face au vide des annonces concrètes de Google, la réaction d’IBM sonne plutôt comme la remontrance d’un adulte face à un enfant qui a dit n’importe quoi.

Pour se démarquer de Google, IBM n’utilise absolument pas le mot « suprématie », mais « avantage » quantique. Car, loin de s’affronter, nos bons vieux ordinateurs à puces de silicium et leurs nébuleux cousins quantiques sont complémentaires.

Pour la docteure Heike RIEL, « les ordinateurs quantiques ne remplaceront pas les ordinateurs (classiques, ndlr). Mais ils vont résoudre des problèmes hors de portée des machines classiques ».

L’avantage quantique, entrevu par IBM, c’est-à-dire le moment où les ordinateurs quantiques prouveront leur supériorité dans la résolution de problèmes précis est désormais une étape identifiée.

« Selon nous, l’arrivée des systèmes quantiques à 1 000 qubits va marquer le tournant de l’avantage quantique », explique la chercheuse d’IBM.

Et ici, point de « long way to the top » façon Google : si on se rapporte à la feuille de route de puces d’IBM, l’avantage quantique sera donc atteint aux alentours de 2025/2026. Une forme de ligne d’arrivée pour cette technologie, dont l’idée a déjà plus de 40 ans.

Faire du quantique une réalité… invisible

L’aventure du quantique chez IBM date de la première conférence sur le sujet en collaboration avec le MIT. Un événement fondateur qui a permis, notamment, de savoir comment un système classique pouvait simuler le comportement d’une machine qui n’existait pas. Depuis, la communauté scientifique, dont IBM, ont développé les briques fondamentales de cette « nouvelle » informatique. Son processeur Eagle en est la dernière incarnation mais aussi la première machine dont le comportement quantique ne peut désormais plus être simulée par l’informatique classique.

« Des puces, aux systèmes de réfrigération en passant par les contrôles électroniques ou encore les logiciels, nous avons dû tout développer pour faire de l’ordinateur quantique une réalité », relate la Dr. Riel.
Ajoutant que si l’aventure « était par essence multidisciplinaire, l’usage de ces machines le sera encore plus ».

Car, IBM ne veut pas uniquement vendre des machines à des institutions comme cela fut le cas en début d’année à l’institut Fraunhofer. Dans ce cas allemand, il s’agit d’une machine destinée à des chercheurs qui savent mettre la main dans le cambouis et programmer pour ces drôles de machines, ce qui limite grandement son utilisation.

IBM Research (https://www.youtube.com/watch?v=WCPns_SYCJU&t=160s) - La docteur Heike Riel (IBM Fellow).

Avec ses briques logicielles, IBM consacre beaucoup de ressources à transformer ses ordinateurs quantiques en une ressource interrogeable dans le cloud.

« Il y a cinq ans nous avons mis cinq qubits dans le cloud et le quantique représentait une petite division d’IBM. Aujourd’hui, tous les segments business d’IBM sont concernés par le quantique et nous avons désormais 25 systèmes quantiques connectés au cloud.

Notre but est de créer toutes les briques logicielles pour permettre aux non spécialistes d’utiliser ces machines sans aucune connaissance du quantique. Ils programment de manière traditionnelle et notre logiciel traduit le code pour l’ordinateur quantique », explique la Dr. Riel.

La question que vous vous posez c’est qui voudrait payer pour accéder à un ordinateur quantique dans le cloud ? Et bien potentiellement presque tous les pans de l’économie ! Car leur vitesse de calcul sur certains problèmes est fulgurante, hors de portée, aujourd’hui comme demain, de l’informatique classique. Mais il reste déterminer pour quels problèmes exactement…

Déterminer et qualifier l’avantage quantique

Pour le commun des mortels, l’informatique quantique semble être une éternelle promesse de puissance perdue dans l’infini de possibilités.
Cette impression cache une réalité : on ne connaît pas encore le champ des possibles de cette nouvelle ère informatique, car on doit encore déterminer les problèmes où ces machines sont les plus pertinentes.

« Notre tâche est aujourd’hui de savoir dans quels domaines et à quel niveau de son développement (puissance en qubit, ndlr) l’informatique quantique supplante l’informatique classique », explique Mme Riel.

« Pour l’apprentissage machine, on prévoit que l’avantage quantique sera atteint dès 2023, mais nous ne savons pas encore sur quels types de problèmes », poursuit la scientifique.

Car l’informatique quantique a des limites. Si le calcul est potentiellement incroyablement rapide – des années de calcul se transforment en jours ! – ces engins qui sont toujours pilotés par des machines classiques ont des faiblesses : la bande passante et la vitesse des accès à la mémoire.

Ce sont des structures complexes qui ne peuvent pas gérer un gros volume de données. Ce qui conforte l’idée que le quantique sera complémentaire de l’informatique traditionnelle.

« Nous nous orientons vers des résolutions hybrides pour les problèmes en les ‘’coupant’’ en sous-problèmes plus petits. À l’informatique classique, les gros problèmes à résolution simple (les GPU et leur puissance de calcul parallèle sont par exemple très indiqués dans ce cas, ndlr), au quantique des problèmes plus compliqués, mais au volume de données plus petit ».

Ces limites et ces incertitudes étant posées, des géants de la finance, comme Goldman Sachs, de la chimie, de l’informatique ou de la médecine sont dans les starting-blocks. Car les promesses opérationnelles de ces systèmes, même balbutiants, donnent le tournis.

Ainsi en 2017, un problème de chimie qui prenait 45 jours de calcul à un système de calculateur classique n’a pris que neuve heures à un système quantique. Un taux d’accélération de x120 prenant en compte non seulement le processeur en lui-même, mais aussi les avancées logicielles (algorithmes, interface Qiskit, etc.).

À peine bourgeonnant, l’ordinateur quantique a mis une belle raclée à son grand frère de puces de silicium. Laissant présager un énorme uppercut en 2025 lorsque « l’avantage quantique » deviendra une réalité… Si les plans d’IBM se déroulent sans accros.

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