L’affaire Griveaux, loin d’être anecdotique, est importante à bien des égards, et notamment de par les réactions qu’elle suscite. Entre autres choses, ces réactions révèlent – ou plutôt réveillent – des lignes de fracture pré-existantes, qui n’attendaient qu’un déclic pour refaire surface.
Parmi ces fractures, l’une des plus fortes concerne l’espace numérique. Elle met en lumière des écarts, voire des antagonismes, sur différentes conceptions de la liberté au sein de cet espace, mais aussi au-delà de celui-ci. Ces divergences de points de vue méritent un débat public sérieux.
Evidemment, l’air étant encore chargé d’émotions (à coup d’élans lyriques sur les « attaques contre la démocratie » et la « montée du fascisme » liées à la « dictature de la transparence »), le moment paraît mal venu pour un débat apaisé sur des questions aussi polémiques.
Et pourtant, c’est bien dès maintenant qu’il faut en discuter.
Il faut profiter de cet épisode qui suscite autant d’indignation car l’expérience montre que, passée une courte fenêtre de tir, l’attention saute sur d’autres « buzz » qui éclipsent aussitôt les précédents.
Il faut en discuter maintenant, aussi, parce que des appels émergent de toute façon déjà pour agir, et agir vite. « L’onde de choc est telle que des députés veulent « une initiative législative » dès la semaine prochaine » apprend-on. Comme souvent, on risque donc de se retrouver dans une course à la précipitation, sous le coup de l’émotion, qui fera la part belle à celui qui légiférera le plus vite, proposera les mesures les plus fortes, montrera la plus grande fermeté.
Il faut en parler, enfin et surtout, parce que les réactions à cette affaire s’inscrivent dans un phénomène plus large et plus profond : le mouvement continu, presque insidieux, tendant à la restriction des libertés, sous divers prétextes. Ce n’est plus un signal faible depuis longtemps déjà, bien plutôt une tendance lourde. Mais celle-ci semblerait presque insignifiante à en juger par la faible attention, considération, vigilance portée à son égard.
Le contraste est cruel, par exemple, entre la vague spontanée, indignée, en colère, qui s’est levée comme un seul homme pour défendre le droit à la vie privée de Benjamin Griveaux (à raison, puisque chacun devrait évidemment avoir droit au respect de sa vie privée, personnalité politique ou non) et la vaguelette esseulée, luttant dans le brouhaha ambiant, qui peine à se faire entendre pour défendre le droit à la vie privée des « Français moyens » quand celle-ci est menacée – c’est-à-dire bien trop souvent ces derniers temps.
Cette tendance forte qui préoccupe si faiblement
N’est-ce pas curieux, en effet ? En matière de surveillance, les nouvelles se succèdent et peu s’en émeuvent – ou plutôt toujours les mêmes, les rabougris de la technologie, les critiques de la « marche vers le progrès », les rabat-joie qui voient le mal partout…
Rien que depuis le début de l’année, on a ainsi appris, entre autres, que :
La police londonienne utilise désormais la reconnaissance faciale en direct « pour assurer la sécurité des Londoniens ».
En Suisse, le Canton de Vaud pourra avoir recours à des balises GPS d’ordinaire réservées à l’antiterrorisme ou au grand banditisme pour traquer les fraudeurs à l’aide sociale.
Le stade de football de Metz utilise un dispositif de reconnaissance faciale pour renforcer la sécurité de ses accès, sans en avoir informé au préalable les supporters (et sans, bien sûr, leur avoir demandé leur consentement). Qu’à cela ne tienne : ce dispositif a vocation à être « valorisé sur les grands événements sportifs » a fait savoir notre ministre des Sports.
Rien ne semble pouvoir arrêter ce mouvement. Il n’est pas surprenant, dès lors, de lire que l’Union Européenne semble « avoir accepté qu’il n’y a pas d’échappatoire à la reconnaissance faciale » (Bloomberg) : l’enjeu n’est déjà plus de savoir si le procédé doit être utilisé ou non, mais selon quelles modalités…
Et tant pis si :
les risques liés à la vie privée sont d’une ampleur inédite (« l’anonymat dans l’espace public va cesser d’exister » prévient par exemple Stefan Heumann, codirecteur d’un think tank sur la technologie basé à Berlin) ;
certains systèmes de surveillance automatisés violent les droits de l’homme, d’après un jugement que vient de rendre un tribunal néerlandais ;
l’efficacité de ces méthodes laisse fortement à désirer. Le taux d’erreur des systèmes de reconnaissance faciale en direct atteindrait même les 30% ! A San Diego, le système de reconnaissance faciale, qui a analysé plus de 65 000 visages depuis sa mise en place depuis 2012, n’aurait d’ailleurs mené à aucune arrestation…
Et chez nous ? Tout se passe comme si nous nous rapprochions peu à peu de ces logiques de surveillance, à notre rythme certes, avec retard certes, mais sans grandes entraves, et sans grand bruit.
a Chine, une avant-garde
Qu’on se rassure tout de suite : à ce petit jeu, nous resterons toujours à la traîne. La Chine n’est pas prête de perdre son leadership en la matière, et l’épisode du coronavirus en a fourni un nouvel exemple éclatant.
« L’urgence du coronavirus a sorti de l’ombre une partie des technologies de surveillance », écrit ainsi Reuters. « Les entreprises d’intelligence artificielle et de caméras de sécurité vantent la précision de leurs systèmes qui peuvent identifier dans la rue des citoyens atteints de fièvre même faible, reconnaître leur visage même s’ils portent des masques, et les dénoncer aux autorités ». Et Reuters de détailler un certain nombre d’exemples faisant froid dans le dos.
Avec l’essor du numérique, la surveillance en Chine a franchi une nouvelle étape. Pour les lecteurs friands de signaux faibles technologiques, en voici deux :
a/ L’apparition de la mise sous quarantaine numérique : un certain nombre d’individus ayant fui la ville de Wuhan ont été mis en quarantaine numériquement, manifestement via WeChat. Leurs applications ont cessé de fonctionner en dehors de la zone de quarantaine. Le même phénomène s’est produit au Mexique où Uber a bloqué l’usage de son application pour des dizaines de chauffeurs qui auraient possiblement été exposés à des personnes contaminées.
« Le potentiel d’abus à long terme ici est évident », explique l’entrepreneur Balaji S. Srinivasan, si besoin il y avait. « Si le coronavirus devient pandémique, le cas extrême deviendra la nouvelle norme. Une pandémie fera adopter à l’Etat des pouvoirs d’urgence. (…) Une fois la situation sous contrôle, les Etats ne cèderont pas ces nouveaux pouvoirs ».
b/ La traçabilité numérique de l’épidémie : le gouvernement chinois peut en effet consulter l’historique de localisation de chaque citoyen contaminé, et retrouver chaque téléphone localisé à proximité d’un « contaminé ».
On atteint ici un degré inédit de surveillance numérique, qui présente une spécificité : « c’est l’une des rares situations où un grand nombre de gens pourraient accepter d’eux-mêmes d’être tracés », écrit Balaji S. Srinivasan. Une traçabilité fine pourrait en effet « aider à déterminer les personnes et les comportements qui propagent le coronavirus. Soit littéralement une question de vie et de mort. [L’incitation à accepter est bien] plus immédiate que pour des cas de terrorisme ou de crime. »
Là encore, le danger est évident : « les gouvernements demandent des pouvoirs en temps de crise. Ils leur seront accordés. Ils peuvent les utiliser pour résoudre la crise. Mais ils finissent ensuite souvent par en abuser. »
Est-ce cette dynamique qui nous anime ? Vers laquelle nous souhaitons nous diriger ? Chacun répondra évidemment en cœur que non. Alors pourquoi tendons-nous tout de même dans cette direction ? Peut-être pensons-nous que nous saurons nous arrêter au bon moment, trouver le « juste milieu », mettre le holà quand il le faudra. Ou bien accepter provisoirement des mesures d’exception avant de pouvoir y revenir ensuite.
Sommes-nous vraiment aussi naïfs ? Dans son brillant essai « Sans la liberté » (2019), l’avocat François Sureau n’y va pas par quatre chemins : « J’ai vu se vérifier une règle simple : les exceptions consenties aux usages, motifs pris de circonstances dramatiques – [par exemple] le terrorisme islamiste – finissent toujours par se retrouver étendues aux circonstances ordinaires, celles de la vie courante.
(…) C’est une caractéristique des systèmes liberticides. On les crée pour parer à une menace indiscutable, dans l’esprit du moins de leurs auteurs. Puis, dès lors qu’ils existent, on s’en sert pour autre chose ». Et Sureau de souligner, par exemple, que « la législation « antiterroriste » de Vichy a d’abord servi à réprimer des femmes coupables d’avortement ».
Au nom de la sécurité…
A chaque fois, le même argument est brandi, comme un laissez-passer : la sacro-sainte sécurité publique.
François Sureau le formule ainsi : « Que les gouvernements, celui d’aujourd’hui comme les autres, n’aiment pas la liberté, n’est pas nouveau. Les gouvernements tendent à l’efficacité. Que des populations inquiètes du terrorisme ou d’une insécurité diffuse, après un demi-siècle passé sans grandes épreuves et d’abord sans guerre, ne soient pas portées à faire le détail n’est pas davantage surprenant. Mais il ne s’agit pas de détails. L’Etat de droit a été conçu pour que ni les désirs du gouvernement ni les craintes des peuples n’emportent sur leur passage les fondements de l’ordre politique, et d’abord la liberté. C’est cette conception même que, de propagande sécuritaire en renoncements parlementaires, nous voyons depuis vingt ans s’effacer de nos mémoires sans que personne ou presque ne semble s’en affliger. »
François Sureau l’illustre dans son essai par plusieurs exemples, dont voici un échantillon parmi d’autres : « Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut considérer le citoyen libre comme un délinquant en puissance. C’est pourtant ce que la loi du 10 avril 2019, dite « loi anticasseurs », a prévu. Je ne reviens pas sur la forme, sur cette manie fâcheuse de légiférer à chaque incident, qui ne date pas d’hier et qui paraît avoir installé l’hémicycle au milieu du café du commerce. Le fond est plus surprenant encore. Le droit administratif offrait depuis plus d’un siècle tous les moyens d’interdire, sous le contrôle du juge, une manifestation susceptible de tourner à l’échauffourée. Le législateur a préféré doter l’Etat du moyen de contrôler la participation individuelle de chacun à une manifestation, c’est-à-dire d’intimider, non le délinquant, mais bien le citoyen lui-même. Il ne reste rien de la liberté de manifester si le gouvernement peut choisir ses opposants. »
In fine, écrit-il, « tout se passe comme si, depuis vingt ans, des gouvernements incapables de doter, de commander, d’organiser leurs polices ne trouvaient d’autre issue que celle consistant à restreindre drastiquement les libertés pour conserver les faveurs du public et s’assurer de leur vote, dans une surprenante course à l’échalote. »
Ce qui menace vraiment notre liberté, ce n’est pas tant la montée des demandes écologiques, contrairement à ce que nombre de conservateurs s’évertuent à dire – la non-prise en compte de ces préoccupations conduirait plutôt à subir des restrictions de liberté d’une ampleur bien supérieure à l’avenir – mais bien plutôt un ensemble de phénomènes qui touche à cette volonté insatiable d’ordre public et/ou à la puissance du numérique. Distinguons ici quatre grands phénomènes à l’œuvre :
-La doctrine sécuritaire, qui conduit à faire passer des lois liberticides sous prétexte de lutter contre les individus « radicalisés », comme expliqué ci-dessus par François Sureau. Or ce ne sont plus seulement les « terroristes en puissance » (notion juridique déjà très polémique…) mais également certains manifestants vus comme « hostiles » et certains militants écologistes qui sont de plus en plus visés par ces initiatives…
-La surveillance des pouvoirs publics sur les citoyens, en s’appuyant sur diverses technologies. Certains en reviennent (on apprenait récemment que « 8 ans après l’avoir lancé, Chicago a démantelé son système de police prédictive : en assignant un « score de dangerosité » aux personnes arrêtées, le dispositif encourageait le profilage racial »), mais beaucoup s’y lancent ou s’y préparent…
-Le capitalisme de surveillance des grands acteurs numériques privés, alimentée par des milliards de données et des IA sans cesse plus perfectionnées. Cet article paru ici l’an dernier expliquait pourquoi cette menace non-palpable, abstraite, est un danger pour notre libre arbitre et la démocratie.
-Les restrictions de libertés unilatérales et parfois arbitraires dans l’espace numérique. Exemple récent, qui montre que les militants écologistes devraient eux aussi se méfier de ces questions : début février, « la quasi-totalité des comptes Facebook gérant la page d’Extinction Rebellion France ont été supprimés sans aucun motif ni avertissement, rendant sa gestion impossible ». Les 15 éditeurs de la page de l’association ont ainsi vu leur compte bloqué, durant plusieurs jours, avant d’être réactivé, sans aucun message d’explication de la part de Facebook.
Quel rapport avec l’affaire Griveaux ?
Le rapport avec l’affaire Griveaux est simple : les réactions tendent là encore vers ce même penchant pernicieux, celui de restreindre les libertés.
« Les réseaux sociaux sont en train petit à petit de nous faire perdre notre liberté » a proclamé l’avocat Dupond-Moretti en réaction à l’affaire Griveaux ; « l’anonymat est une entrave à notre liberté » a renchéri l’éditorialiste Nathalie Saint-Cricq, tous deux emboitant le pas de nombreux autres commentateurs depuis 48h.
Voilà donc des militants autoproclamés de la « liberté » (!) qui appellent à réguler plus drastiquement les réseaux sociaux et à restreindre, voire interdire, l’anonymat en ligne – bref, à instaurer une bonne dose d’ordre sur Internet.
On pourrait penser que ces prises de position sont lancées sous le coup de l’émotion, mais il ne faut pas être dupes : l’affaire Griveaux n’est ici qu’un prétexte, un alibi fort commode pour reprendre le contrôle sur un espace trop libre, trop peu contrôlable, qui a toujours dérangé. Au fond, ces mêmes qui en appellent à un plus grand contrôle de l’espace numérique n’ont jamais accepté la liberté inédite qu’offre Internet à tout un chacun, et qui, de facto, prive une élite restreinte du privilège d’être les seuls à jouir d’une audience (avec la puissance qui va avec). Pour tous ceux-là, l’occasion est ici trop belle pour la laisser passer.
Si nous n’y prenons pas garde, c’est donc encore un nouveau pan de nos libertés, déjà bien détricotées, qui pourrait sauter – et qui-plus-est sur un malentendu, puisque :
La vidéo en question a d’abord été partagée via une messagerie privée, puis publiée sur un site (étranger) et non un réseau social ;
Il n’y a pas de question d’anonymat dans cette affaire (celui qui a publié la vidéo ne se cache pas ; son avocat non plus ; les personnalités qui l’ont relayé non plus…).
Que Benjamin Griveaux ou toute personnalité politique puisse compter sur le respect de sa vie privée n’est pas en débat ici.
L’enjeu est celui de la bonne réaction à cette affaire. Plutôt que d’ajouter des lois aux lois, veillons déjà à ce que l’arsenal existant soit bien appliqué et à ce que la justice ait les moyens de travailler correctement. Comme rappelé ici, « le droit à l’anonymat sur les réseaux sociaux, ce n’est pas l’impunité. Les moyens juridiques existent d’identifier et de poursuivre. L’article 6.1.II de la LCEN impose aux réseaux sociaux de conserver « les données de nature à permettre l’identification ». Ces données peuvent être obtenues sur requête en quelques heures et permettre la conduite des enquêtes et des poursuites. »
Soyons donc vigilants à ce que cette affaire ne serve pas de prétexte à tous ceux – et ils sont nombreux ! – qui n’ont jamais digéré la liberté propre à l’espace numérique, et en particulier aux réseaux sociaux. Le journaliste Vincent Glad souligne d’ailleurs, en s’appuyant sur le cas Manaudou, qu’il n’y a nul besoin des réseaux sociaux pour que des contenus de « revenge porn » se propagent en masse sur Internet.
Les leçons de l’imprimerie
A bien y regarder, la situation actuelle a de nombreux points communs avec l’émergence, il y a quelques siècles, d’un bouleversement majeur dans l’histoire de l’humanité : l’invention de l’imprimerie.
L’historienne américaine Elizabeth Eisenstein le montre bien dans son ouvrage monumental « The printing press as an agent of change », comme le résume ici un article de The Atlantic :
« L’imprimerie a pris presque tout le monde par surprise. Ses ramifications furent gigantesques. Plus de livres ont été imprimés au cours des cinq décennies qui ont suivi l’invention de Gutenberg que ceux produits par les scribes au cours des 1 000 années précédentes.
(…) L’imprimerie a décentralisé le rôle de « gardien du temple ». Dans une culture scribale, maintenir un certain contrôle sur les idées et leur diffusion était simple. Avec l’imprimerie, ce contrôle est devenu plus difficile.
Les différents dirigeants ont tout de même essayé de garder ce contrôle, tout comme l’Église. Le mot imprimatur désignait ainsi l’autorisation officielle de publier, donnée par une autorité de l’Église.
(…) Mais le nombre considérable de livres produits par les imprimeurs rendait la suppression problématique. Avoir votre livre sur la liste de surveillance de quelqu’un pouvait même en faire un best-seller : « interdit à Bologne ! ».
(…) Les mots n’étaient d’ailleurs pas les seules choses à être imprimés ; des images aussi étaient diffusées en masse. (…) Quand les gens peuvent publier ce qu’ils veulent, ils le font.
(…) Contrairement aux scribes monastiques, les imprimeurs étaient des entrepreneurs à but lucratif. Ils publiaient tout ce qui se vendait. On pouvait alors trouver tout et n’importe quoi dans un livre – théories du complot, sorts magiques, satire, érotisme – ainsi que n’importe quel point de vue. Il suffisait d’inventer quelque chose, de l’écrire et de l’imprimer, pour que les gens disent « je l’ai lu dans un livre ».
(…) Le monde n’a plus jamais été le même. L’imprimerie a transformé la religion, la science, la politique ; elle a mis l’information, la désinformation et le pouvoir entre les mains d’un nombre inédit d’individus. Elle a créé une culture de la célébrité où les poètes et les polémistes rivalisaient pour la gloire ; et elle a assoupli les contraintes de l’autorité et de la hiérarchie, en montant des groupes les uns contre les autres.
Ce phénomène a brisé le statu quo d’une manière qui s’est avérée libératrice (émergence de la démocratie et des Lumières) mais aussi mortelle (elle porte une responsabilité dans des chaos et massacres). Comme Edward Snowden l’observe dans son nouveau livre : «La technologie n’a pas de serment d’Hippocrate.» »
Les nombreux parallèles à dresser avec l’ère numérique devraient inciter chacun à prendre conscience que le web social, avec ses bons et ses mauvais côtés, constitue une nouvelle donne à laquelle il va falloir s’adapter, quoi qu’on en pense. Cela ne signifie pas, évidemment, que cet espace peut être un far-west et que la loi ne doit pas s’y appliquer. Mais chacun doit comprendre que l’on ne reviendra pas en arrière.
Au passage, il serait grand temps que les grands contempteurs des réseaux sociaux daignent se pencher sérieusement sur ce qui fait l’originalité historique et l’intérêt de ces espaces, et en particulier de Twitter, comme l’a bien expliqué ici le communiquant Romain Pigenel ; ainsi que sur les raisons pour lesquelles l’anonymat sur Internet mérite d’être protégé (lire ce fil ou cet article).
Une chose est sûre : qu’on le regrette ou non, la politique ne pourra plus jamais être la même et devra composer avec une part accrue de transparence. Les lamentations sur la fin d’une époque n’y changeront rien, de la même façon que les réactions plaintives de certains suite à #metoo (« il nous faudra maintenant faire très attention – c’est peut-être la fin de la drague… ») – ne feront en rien revenir à la situation précédente.
Tout comme #Metoo n’a pas entraîné la fin de la drague, le web et les réseaux sociaux ne vont pas entraîner la fin de la politique ni l’avènement d’une « dictature de la transparence ». Ils inciteront chacun à se préparer et se prémunir contre une exposition potentiellement plus forte qu’auparavant.
En parallèle, il faudra nous battre pour protéger la vie privée de chacun, puissant ou non, et lutter contre toute impunité pour ceux qui transgresseront les règles, en donnant à la justice les moyens de faire son travail.
Enfin, attendons-nous à des transformations sur la façon d’être en politique. A cet égard, le pronostic de Nicolas Vanbremeersch, CEO de l’agence Spintank, qui dénonce l’insincérité en politique, est à considérer : « On a trop parlé de fake news depuis quelques années. Le problème n’est pas tant dans la vérité produite par des professionnels, ou le mensonge, mais dans un décalage relationnel. (…) Le problème se niche dans la relation, qu’il faut recréer » analyse-t-il dans un billet intéressant, où il revient sur les vœux de début d’année du dirigeant du parti majoritaire, Stanislas Guerini :
« Tout semble avoir été produit par une machine pour produire quelque chose de faux. Décor homestagé rapidement, fausses briquettes, fausses plantes vertes, faux cadres portant de fausses affiches, où l’on n’essaie même pas de s’embarrasser de réussir à créer du vrai. On est dans le fake, dans une brooklynisation tardive et ratée, où l’on ne s’embarrasse même plus de chercher à être cohérent dans la fabrique d’authenticité. C’est attristant, car on sent qu’aucun effort n’est fait. (…) Le fake irrite, énerve, quand il ne cache plus qu’il ne cherche même pas à jouer le jeu. L’élite nous dit qu’elle démissionne de sa relation avec nous. »
Il note au passage que « les figures qui ont émergé en 2019 ont été des modèles de sincérité » (Greta Thunberg, Alexandria Ocasio-Cortez…). Le futur de la politique à l’ère numérique est peut-être bien à chercher de ce côté-là.
– Clément Jeanneau
En Suisse, on traque désormais les pauvres avec des balises GPS d’ordinaire réservées à l’antiterrorisme ou au grand banditisme.