Opinion | Soignons nos données de santé

La relation qui existe entre le patient et le système de soin est basée sur la confiance, valeur fondamentale assurée par le serment d’Hippocrate. Or, un nouvel acteur a fait son entrée : le fameux data scientist, le scientifique de la donnée. Il est capable de prouesses prédictives et de classifications jusqu’ici hors de portée. (Par Pierre-Alain Raphan, député LREM de l’Essonne)

Une plateforme d’exploitation des données de santé
Si la France est engagée depuis une dizaine d’années dans un challenge de taille : la constitution de bases de données médicales, cela est dû à l’intelligence artificielle qui a besoin d’agréger un volume important de données générées localement pour leur donner un sens à une autre échelle, européenne notamment.

Le Président de la République a indiqué que la santé serait un des secteurs prioritaires pour le développement de l’intelligence artificielle. Il a annoncé une action majeure : la création d’un “Health Data Hub” qui devrait voir le jour fin novembre. Ce dernier se pose en futur guichet unique d’accès à l’ensemble des données de santé issues de la solidarité nationale et générées sur le Territoire.

Une telle plateforme qui facilite les interactions entre producteurs de données de santé, utilisateurs et citoyens, avec des conditions de sécurité élevées semble primordiale pour favoriser les innovations dans le secteur de la recherche.

Néanmoins, il existe quelques zones d’ombre sur certains acteurs, proches des GAFAM, à l’initiative de ce beau projet : le Fondateur de la start-up OWKIN qui lève régulièrement des fonds auprès de Google Venture, voire l’infrastructure retenue qui reposera sur Microsoft AZURE. Loin de vouloir remettre en cause les choix effectués, la question de pose sur les conséquences.

Et la sécurité ?
Pour se prémunir de fuites au sein du Health Data Hub, l’accent a été mis sur la pseudonymisation des données, mais l’anonymat complet est impossible : comme le montre plusieurs études universitaires, il suffit de croiser un nombre limité de données pour ré-identifier un patient. Des alternatives moins dangereuses existent pour la vie privée et le secret médical qui permettent de garantir une indépendance et un contrôle collectif des infrastructures. La décentralisation en est un, permettant de contrer les monopoles, sécuriser les données des citoyens et une recherche de qualité.

De fait, le cloud s’impose comme le remède miracle. La virtualisation des infrastructures permet la mutualisation des ressources pour de multiples clients. Aussi, pour être Hébergeur de Données de Santé, il faut être en capacité de répliquer les données sur plusieurs data centers. Ce qui explique que des opérateurs tels que Google, Microsoft ou Amazon soient labellisés. Pourtant, la sécurité de la totalité de la chaîne est dépendante de celle des processeurs, ce qui n’est pas forcément pour nous rassurer. Les fournisseurs de données deviennent en plus tiers de confiance et centralisent un peu plus les pouvoirs chaque jour.

Une fois brisée, la confiance ne se reforme plus
Mais quelles seraient les conséquences sur la confiance d’une fuite de données ? Les patients refuseraient-ils de se soigner comme certains mettent en doute la vaccination ? Allons-nous vers une santé à plusieurs vitesses en fonction des moyens de tout à chacun ?

C’est la sécurité de la Nation entière qui est en jeu. Même si de récents “serments d’Hippocrate” de data scientists émergent, ils reposent, comme un système monétaire, uniquement sur la confiance qui leur est accordée.

Les données, un capital vital
Si l’utilisation des données de santé constitue une opportunité qu’il ne faut pas laisser passer, cela ne doit pas être au mépris de la notion de confiance. Or, à l’heure actuelle, cette confiance est sacrifiée au nom de la rentabilité et du pouvoir. Si nous poursuivons dans cette direction, l’issue est funeste, tant pour les patients que les autres acteurs qui s’y précipitent. Alors, à qui profitent les données de santé : aux enjeux économiques, aux jeux de pouvoir ou à la relation de soin ?

Si la CNIL avec l’éthique des algorithmes, et l’Ordre des Médecins encouragent à placer l’éthique au cœur du projet de données de santé, pourquoi s’entêter à brader la sécurité des données de santé française ? Une fois que le gué sera passé, il ne sera plus possible de revenir en arrière, c’est maintenant qu’il faut agir : nous sommes aux urgences !